Promesse d'une planète plus propre pour les uns, illusion pour les autres, la mutation de l'industrie et de la mobilité vers l'hydrogène vert divise alors que les investissements dans ce secteur explosent.
7,2 milliards d'euros d'argent public seront investis dans cette énergie d'ici à 2030 en France. L'implication de l'État est explicite comme a pu en témoigner, le 25 mai dernier, l'illumination de la tour Eiffel grâce à un groupe électrogène alimenté avec de l'hydrogène décarboné.
Parallèlement, depuis 2020, les entreprises de la filière enflamment la bourse.
Plusieurs pays européens ont déjà misé sur l'hydrogène dans le cadre des investissements de leur plan de relance, dans le sillage du plan pour l'hydrogène propre, dévoilé par l'Union européenne à l'été 2020.
Revenons sur les arguments qui agitent les débats autour de cette énergie.
Stocker le renouvelable et décarboner
Chez les défenseurs de l'hydrogène vert, on trouve deux grands arguments. L'hydrogène résoudrait la problématique du stockage à long terme des énergies renouvelables, lesquelles sont par définition intermittentes ; il s'agit de pouvoir mieux les utiliser quand on en a besoin.
Il constituerait par ailleurs un vecteur idéal pour décarboner l'industrie et la mobilité sous toutes ses formes : trains, avions, bateaux, camions, fourgonnettes, voitures.
Produire " à côté de chez soi " un carburant à partir d'eau, de soleil et de vent, ne rejetant que de l'eau, représente un idéal qui semble avoir conquis les politiques, l'opinion publique et les marchés financiers. La place centrale occupée par l'hydrogène dans les plans de relance français et européens en témoigne.
Il suffira de consulter le site Internet de France Hydrogène pour constater que, partout en France, émergent des projets locaux très concrets de production d'hydrogène vert, couplés à des initiatives de mobilité locale (bus et flottes professionnelles notamment).
Une énergie chère aux faibles rendements
Les lanceurs d'alerte avertissent, de leur côté, sur les faibles rendements de l'hydrogène vert et sur le coût exorbitant d'une énergie qui s'étiolera lorsqu'elle ne sera plus sous perfusion des subventions publiques.
Plus grave, elle constituerait selon eux une utopie, voire une imposture. Car, disent-ils, convertir l'industrie et la mobilité à l'hydrogène vert exigerait une telle quantité de panneaux solaires et d'éoliennes que ce ne serait pas réaliste.
Certains pays ont d'ailleurs déjà prévu des politiques d'importation. Le Japon, premier pays du monde à avoir parié sur cette énergie, a d'ores et déjà pris la décision de faire produire son hydrogène vert dans les déserts australiens. La Corée du Sud envisage le même recours à l'importation.
Plus proche de nous, l'Allemagne s'apprête à consacrer 2 milliards d'euros pour la mise en place de politiques d'importation d'hydrogène vert d'Europe du Sud, du Maghreb, de l'Afrique de l'Ouest et du Chili, voire du Brésil.
Une mutation dans la durée
Entre partisans et opposants, comment avoir les idées claires, sachant que le problème est, comme bien souvent, mal posé ? Il est clair que la conversion à l'hydrogène ne peut se faire dans l'urgence, par simple substitution de nos systèmes énergétiques actuels. Dans un tel contexte, l'hydrogène ne pourra tenir ses promesses.
N'oublions pas que l'objectif visé par la Commission européenne se situe, en fonction des scénarios, entre 13 % et 24 % d'hydrogène vert dans notre mix énergétique en 2050. Nous avons donc le temps.
L'hydrogène n'est pas un substitutif. Il va accompagner la transition énergétique au côté d'autres solutions. Il représente ainsi une occasion de basculer vers une nouvelle logique, un nouveau paradigme économique et environnemental basé sur l'économie circulaire, la production et la consommation locales et une plus forte indépendance énergétique. C'est ce qu'avance Jeremy Rifkin, le célèbre économiste, depuis presque 20 ans maintenant.
L'absurdité de l'importation
Considérer que l'hydrogène vert doit être importé, c'est renouer avec les absurdités dont souffrent déjà nos sociétés. Exemple d'aberrations les plus récentes : afin de produire des biocarburants en volume, on a commencé à importer de l'huile de palme au risque d'aggraver les dégâts écologiques dans les pays exportateurs.
Rappelons que pour fabriquer de l'hydrogène vert, il faut de l'eau. Est-il vraiment pertinent de faire produire de l'hydrogène vert dans des pays, certes plus ensoleillés que les nôtres, mais également plus arides ? Et que dire de remplacer la dépendance au pétrole par une simple dépendance aux pays producteurs d'hydrogène vert ?
Contrairement à beaucoup d'autres pays, la France a donc décidé une conversion lente, systémique, locale, 100 % " made in France " ; certes accélérée par le nucléaire (hydrogène décarboné) mais qui permettra d'enclencher progressivement une transition vers ce nouveau paradigme.
Économie circulaire et énergie de récupération
Le débat sur la conversion vers l'hydrogène vert doit donc être replacé dans ce contexte. La question posée par les détracteurs est centrée sur le surcoût et le surplus d'énergie renouvelable nécessaires à cette mutation.
Les sceptiques de l'hydrogène préfèrent souvent réserver cette énergie à la décarbonation de l'industrie. Pourtant, malgré un rendement qui n'est pas optimal, l'hydrogène vert produit localement ne revient aujourd'hui pas plus cher que le diesel dans le secteur de la mobilité.
L'enjeu est donc de booster une production supplémentaire locale d'électricité verte pour un usage local. On pense au solaire, à l'éolien et aux barrages hydroélectriques. Mais il existe bien d'autres vecteurs locaux de production d'énergie verte et décarbonée. Les pistes de l'économie circulaire et de l'énergie de récupération ou énergie fatale sont ici prometteuses.
L'incinération des déchets constitue par exemple une piste avec deux projets bien avancés en France et des actions concrètes un peu partout en Europe.
Il y a aussi la voie de l'électrolyse des eaux usées en parallèle de l'émergence de la filière méthanisation, complémentaire de l'hydrogène. On voit également poindre quelques projets à partir de biomasse locale comme le chanvre.
En fonction des caractéristiques du territoire, les sources d'énergie peuvent être très différentes et se compléter. Sur les côtes, l'hydrogène pourrait même être produit à partir d'eau de mer.
La piste des centres de données
L'économie numérique n'est pas en reste. On sait aujourd'hui que les centres de données sont trop énergivores et leur empreinte environnementale très négative.
Or, à mesure que nos objets vont devenir plus connectés, interactifs et " intelligents ", les centres de données de proximité vont se développer. On appelle cette révolution le " edge computing ", c'est-à-dire le traitement des données à la périphérie du réseau.
Certaines start-up ont déjà lancé des chaudières numériques qui produisent de la chaleur pour des bâtiments professionnels, des hôpitaux et des logements particuliers, en utilisant des calculs numériques, voire l'énergie dégagée par certaines cryptomonnaies.
Microsoft est aujourd'hui le premier groupe au monde à se lancer dans l'aventure hydrogène pour ses datacenters européens. L'entreprise a rejoint récemment l'Hydrogen Council, une alliance qui cherche à coordonner les efforts des industriels en Europe.
60 à 110 000 emplois d'ici à 2030
L'hydrogène vert local représente un pari sur l'avenir, solidement ancré dans des projets locaux alliant entreprises privées et collectivités. Le plan hydrogène français et ses 7,2 milliards d'euros sera notamment dédié à la structuration d'une industrie française des électrolyseurs.
Ces électrolyseurs vont apparaître progressivement dans notre paysage quotidien au sein des régions pour créer des écosystèmes locaux, sur mesure, en fonction des énergies locales disponibles.
Pas de grande transition brutale donc, mais une évolution progressive, s'inscrivant dans la durée. L'objectif est d'accompagner petit à petit la transition des flottes de véhicules locaux lourds (camions, bus, trains, bateaux, etc.) ou à usage fréquent (fourgonnettes, VTC, taxi, etc.) pour lesquels les batteries ne constituent pas un optimum.
D'après l'Ademe, de 60 000 à 110 000 emplois non délocalisables d'ingénieurs et de techniciens devraient émerger à l'horizon 2030.