[Mentor] Miser sur la coopération, avec l'explorateur Christian Clot
Durant 40 jours, Christian Clot s'est isolé dans une grotte avec 14 personnes pour étudier l'adaptabilité humaine. Sans lumière, ni repère temporel, l'explorateur s'étonne des capacités de travail du groupe et de l'impact du temps.
Je m'abonne" Ils ont passé 40 jours dans un gouffre sans lumière naturelle, ni repère temporel... ", pouvait-on lire fin avril dans la presse. À l'origine de ce projet dantesque, un explorateur, écrivain, réalisateur et chercheur spécialisé en adaptation humaine, Christian Clot.
Après une cinquantaine d'expéditions, il ne se contente plus d'explorer les zones isolées du globe. Changement d'échelle ou d'intérêt, le Franco-Suisse oriente depuis quelques années ses recherches sur le cerveau. En ce sens, il fonde en 2014 le Human Adaptation Institute, avec l'intention de mieux préparer les femmes et les hommes au monde de demain et aux crises qu'il engendrera. Son leitmotiv ? " Comprendre le milieu plutôt que d'y résister. "
Cette acuité à se creuser les méninges l'a longtemps poussé à se rencontrer lui-même, notamment lors de son expédition " Adaptation 4 x 30 jours solo " . Là, il réalise, entre 2016 et 2017, 4 expéditions en solitaire au sein des milieux les plus extrêmes de la planète afin d'y étudier la capacité d'acclimatation humaine. " Ces expériences de solitude sont valorisantes, mais nous ne sommes pas faits pour ça ", constate alors Christian Clot.
Deep Time
Convaincu que l'humain est un animal collaboratif, il se dirige vers l'étude des groupes. " Lors d'expériences en milieux anomiques, nous menons avec l'institut un travail de mesures profondes sur des personnes, avant, pendant et après, précise-t-il. La Covid nous a permis de mener l'étude Covadapt. Elle a enseigné que les gens étaient désorientés temporellement du fait de la progression de la crise. Environ 40 % de la population était concernée. La perception du temps était donc la clé de ce que nous vivions. " Ce résultat engage en 2021 une nouvelle expédition : " Deep Time ".
Pendant 40 jours, l'aventurier s'isole dans une grotte ariégeoise en compagnie de 14 collaborateurs. " Grosso modo, nous avons été mis dans une cage, qui était un milieu naturel, sans accès à l'heure pour découvrir ce qui nous arriverait ", explique Christian Clos. Cette mise en situation, il la compare à une start-up qui naît.
L'un des premiers constats est édifiant : " Au début, chacun avait son rythme biologique. Puis, au bout de huit cycles, nous nous sommes tous synchronisés pour être capables de travailler ensemble. Cela prouve à quel point l'humain a fondamentalement besoin des autres. Dès lors, nous sommes passés de collaboration à coopération, rendant notre efficacité exponentielle. "
Pour l'explorateur, c'est ce qui manque à certaines entreprises. En effet, la signature d'un contrat, par exemple, va permettre de collaborer, alors que la coopération nécessitera plus. Plus ? C'est-à-dire donner envie à ses équipes, les consulter, vouloir aider, savoir ce que chacun peut offrir.... La problématique se base alors sur la compréhension du besoin des autres. Là encore, le pionnier remarque les maux de notre époque : " Nous avons perdu cette société de coopération. On le voit dans l'actualité, notamment sur la question du vaccin..."
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Equilibre
Deep Time permet également de comprendre l'impact du temps sur un groupe. " En 40 jours, nous n'avons réalisé sous terre que 30 cycles ", se rappelle Christian Clot. Après coup, cette période peut être scindée en 3 phases d'une dizaine de cycles chacune, comparable à une vie d'entreprise.
La première se dédie à la découverte et à l'apprentissage. Elle est souvent fatigante. La deuxième symbolise le début de la monotonie et révèle l'apathie. Néfaste au cerveau, la routine, certes moins éprouvante, coupe la soif de nouveauté. Enfin, l'ultime phase tend à sortir de la lassitude routinière pour innover et relancer la coopération. " On prend alors conscience de l'importance du temps au travail. En laisser au collaborateur favorisera son épanouissement et la compréhension de l'utilité des autres. Le temps crée l'envie. "
Ces périodes permettent à chacun de trouver un sens pour le collectif. Bien-entendu, d'autres paramètres entrent en compte comme la bonne volonté et la personnalité des membres. " Il y a eu quelques engueulades. Dans ces moments-là, mieux vaut privilégier les temps de parole. C'est au meneur de l'équipe de gérer ces situations en attendant de trouver un équilibre global ", avoue l'instigateur de l'expérience.
S'adapter
À 49 ans, Christian Clot intervient en entreprise afin de favoriser l'appréhension des crises. Sujet au coeur de ses dernières recherches, il déplore la " nécessité d'ajuster en permanence notre perception de l'environnement et de ses évolutions ". En effet, avec la stabilisation sociétale intervenue ces dernières années, l'homme a perdu certaines fonctions de base. C'est également lié au passage d'une société rurale à citadine, dans laquelle 70 % de la population mondiale vit en ville. Pour le défricheur, la clé se trouve dans la capacité à se transformer rapidement. En entreprise, cela impliquera des changements de fonctionnement. " La formation notamment, très axée sur la fonction, pourrait s'orienter sur la projection. Il faudra aussi envisager le futur avec beaucoup plus de diversité dans les profils, car les sociétés qui fonctionneront demain seront celles qui auront de la pluralité cognitive et émotionnelle ", déclare-t-il.
Cette ode à la transformation de nos modèles a pour raison la préservation de notre système. Pour autant, elle passera par la consommation, la production d'énergie, le tout en ayant moins d'impact sur l'environnement.
Peur
Ses conseils pour les entrepreneurs ? " Ils ont souvent le nez dans le guidon, alors les moments de détente, loisirs et plaisirs sont importants. Côté professionnel, s'ils en ont la ressource, il faut s'entourer de personnes différentes. Cela impose de s'ouvrir à la critique et de challenger ses décisions. Enfin, tenter de revenir à des pratiques concrètes est primordial. Pour aider ses équipes, le mieux est d'échanger afin de connaître leurs besoins et les faire gagner en performance ", détaille Christian Clot. À travers son institut et sa maison de production, il est lui est aussi entrepreneur. Par le danger auquel il se confronte, ses expéditions sont d'ailleurs comparables à la vie de porteurs de projets.
Selon lui, dans la vie comme en entreprise, les décisions sont basées sur des émotions. Alors ne lui dites pas que la peur n'a pas sa place au travail. Il l'assure : " s'il y a une peur, il y a une raison. Il faut donc prendre le temps de s'y adapter pour l'affronter. "
Il en est convaincu, il y a plus à explorer à l'intérieur de soi-même qu'à travers tous les océans et continents. Alors prenez votre temps !