Économie zéro carbone : les entreprises doivent s'y mettre vraiment
Publié par Eric Lemoine, co-fondateur de House of Codesign le - mis à jour à
Optimisme béat, imprévoyance coupable ou aveuglement ? Alors que depuis des décennies tous les voyants passent au rouge les uns après les autres, le sujet du dérèglement climatique ne semble pris au sérieux que depuis quelques années.
" Notre maison brûle " déclarait Jacques Chirac en 2002 devant l'Assemblée Générale de l'ONU. Depuis, la situation n'a cessé de se dégrader. Nous sommes désormais au tipping point, ce point de non-retour qui ne nous laisse d'autre choix que d'agir. Fini les déclarations d'intention et autres opérations de communication souvent teintées de bonne foi mais saupoudrées d'autant de " greenwashing ". Et puisque le décompte a commencé, il est temps que chacun prenne conscience du rôle qu'il a à jouer pour inverser cette dynamique mortifère.
Incontestablement, la prise de conscience et l'envie d'agir sont bien là chez un grand nombre de citoyens. Selon des études comme celle publiée par le magazine LSA , le critère environnemental arrive désormais en tête des critères de décision dans l'acte d'achat des consommateurs. Une tendance qui se répète également chez les salariés et même les investisseurs vis-à-vis des entreprises. Et c'est là qu'il convient de souligner le rôle crucial que nos entreprises ont à jouer pour transformer massivement, rapidement et durablement notre économie en économie zéro carbone. Si, comme le montre une étude récente menée par le Shift Project , les individus sont la source de 25 % du carbone émis, les entreprises et les modes de consommation qu'elles ont fait naître le sont pour les 75 % restants.
Aujourd'hui il y a urgence. Il est temps de passer de la réflexion à l'action. Et, s'il est déjà tard, il n'est pas encore trop tard. Fort heureusement, les entreprises sont un formidable outil de transformation qui donne la réponse à cette question lancinante : comment passer d'une société sans contrainte à une société plus frugale et plus contraignante ? La pandémie que nous traversons depuis un an nous a sans doute donné quelques indices !
Noir c'est noir... mais il y a de l'espoir
Bien sûr, il y a tout ce qui peut nous amener à désespérer. Une fois encore, 2019 est annoncée comme l'année la plus chaude jamais connue par l'humanité. Et alors que la COP 21 avait fait naître de grands espoirs, le retard pris sur les engagements des États semble prendre une tournure inquiétante. Ainsi, comme le soulignait récemment Côme Girschig lors d'une conférence que nous organisions, si en France les émissions de CO2 ont baissé depuis 25 ans, l'empreinte carbone de notre pays - indicateur sans doute plus pertinent - a elle progressé de 10 % sur la même période. Et, si l'on ajoute à ce tableau les menaces pesant sur la biodiversité - un million d'espèces menacées - il y a de quoi désespérer.
Pourtant, les raisons d'y croire sont là ! Et les entreprises ont un rôle essentiel à jouer. Pour ce faire et comme le dit Côme Girschig, " les entreprises doivent réinventer la sphère sociale et apprendre à faire société au-delà de la simple consommation ". Et les entreprises ont toutes les clés pour y parvenir et nous aider à cheminer - au plus vite - vers une économie décarbonée. Car les entreprises sont un formidable outil, vecteur de transformation. S'adapter aux contraintes est dans leur nature, un moteur de leur développement et de leur pérennité. Comme Michel-Ange l'affirmait à propos de l'art, l'entreprise " naît de la contrainte et meurt de la liberté ". En cela, les entrepreneurs sont de véritables alchimistes, capables de transformer une contrainte en valeur ajoutée. Depuis plus d'une décennie, ils en font d'ailleurs la démonstration avec l'un de ces moments darwiniens qu'est la transformation digitale.
Le changement c'est maintenant
Fini le temps de la réflexion - sans suite - et de l'interrogation. Nous sommes désormais au temps du changement et de l'action. L'enjeu est simple et doit être clair pour tous : changer et agir, ou disparaître. Une réalité d'autant plus prégnante pour des entreprises qui, au-delà du rôle moteur qui leur est légitimement attribué, se voit scrutées et jugées pour leurs actions. À l'heure où la réputation est devenue clé pour la pérennité des entreprises, nul ne peut faire comme si rien n'avait changé. Tout invite, incite et impose aux entreprises d'agir.
La pression " positive " mise aux entreprises est de quatre natures. Tout d'abord, il y a bien sûr la pression mise par des clients toujours plus regardants et concernés par le sujet de la neutralité carbone des produits et services qu'ils consomment. Vient ensuite la pression des investisseurs et des salariés qui n'acceptent de s'engager qu'à condition de disposer de garanties claires et irréversibles. Pour les investisseurs, on peut ainsi citer l'apparition de nouvelles normes pour rendre compte des performances de l'entreprise. Pour les salariés, on peut prendre l'exemple de ces 300 employés d'Amazon qui ont dénoncé l'empreinte carbone de la firme américaine.
De plus en plus forte et contraignante, la pression est aussi réglementaire comme c'est le cas en Europe. Enfin, le dérèglement climatique que provoquent les émissions de carbone expose directement nombre d'entreprises : monter des eaux, raréfaction des matières premières ou, tout simplement, dépréciation de leurs actifs. Un risque qui s'élèverait à près de 1 000 milliards de dollars selon le CDP .
L'entreprise d'après
La question n'est donc plus de savoir s'il faut aller vers une économie zéro carbone mais plutôt de déterminer comment les entreprises peuvent s'y mettre. Une chose est certaine. Pour y parvenir, il nous faut, dès à présent, intervenir à tous les niveaux et à toutes les échelles. Plus concrètement, lorsque l'on est une entreprise qui souhaite tendre vers le zéro carbone, on peut commencer par s'appliquer quelques règles et engagements simples.
Vouloir lutter contre le réchauffement climatique passe par un profond changement des comportements. Et c'est encore plus vrai pour les entreprises qui doivent s'approprier une notion fondamentale, celle du CHANGE . Trouver les moyens d'innover et d'avoir un impact, d'expérimenter, de valider puis de déployer dans toute l'organisation. Mais, pour ce faire, les entreprises doivent aussi rompre avec le biais "technique" qui trop souvent les anime lorsqu'elles cherchent à innover. La lutte contre le changement climatique est un sujet de transformation qui va bien au-delà de la dimension technique ou technologique. D'ailleurs, plus la lecture et le discours sont empreints de technique, moins l'engagement des collaborateurs est au rendez-vous.
En réalité, vouloir aller vers une entreprise décarbonée, c'est d'abord un patron et des dirigeants porteurs de convictions et sachant embarquer leurs équipes. C'est aussi avoir et partager une vision, en étant en capacité de mesurer ses progrès. Cela signifie se fixer des indicateurs de performance globaux, qui combinent harmonieusement l'économique et l'écologique. Mais, si souvent les choses peuvent commencer par de petits changements, le chemin qui nous conduit vers une économie décarbonée est toutefois porteur d'une forme d'urgence et donc de radicalité.
Dès lors, l'entreprise doit accepter de changer de paradigme. Cela passe par des initiatives comme celle de Time for the Planet , et par la création de cent entreprises " open source " pensées pour lutter contre le dérèglement climatique à une échelle globale. Cela passe aussi par un accompagnement des entreprises pour les aider à agir, à faciliter l'innovation et à accélérer la transformation. Bien plus qu'un sujet seulement " tech ", l'entreprise zéro carbone est un changement qui passe par 3 étapes clés sur lesquelles un travail spécifique doit être fait : le design pour définir l'empreinte carbone et les leviers sur lesquels intervenir ; la phase de développement pour passer de l'idée à l'action ; le déploiement pour passer, dans des délais optimisés, à l'échelle et embarquer l'ensemble des équipes.
Le temps presse mais les solutions existent. L'entreprise zéro carbone est non seulement nécessaire mais à portée de main pour tous ceux qui souhaitent agir et faire émerger un monde, une économie plus harmonieuse et surtout plus durable. A nous de jouer !