[DOSSIER] Finance Verte, le Daf à l'heure du green
Et si, en plus de sauver la planète, vous donniez de nouvelles perspectives à votre entreprise ? Se soucier de la question environnementale permet d'anticiper de nombreux risques mais aussi de s'ouvrir à de nouvelles opportunités qui sont, de plus, vouées à un avenir prometteur tant les consommateurs, mais aussi les investisseurs, s'intéressent à ces sujets.
Je m'abonneSommaire :
1. L'environnement comme avantage compétitif
2. Mettez du vert dans vos financements
3. Des indicateurs fiables pour des actions efficaces
1. L'environnement comme avantage compétitif
Pourquoi se soucier de l'environnement quand on est Daf ? D'un enjeu d'image pour les entreprises puis de maîtrise des risques, la question environnementale est en train de devenir aussi source d'opportunités. Et si, tout en sauvant la planète, on permettait à l'entreprise de trouver de nouveaux marchés ? « Dans les années 90, les entreprises qui ont commencé à s'intéresser à la question environnementale l'ont fait soit pour des questions de compliance, soit parce qu'elles étaient attaquées sur le sujet. C'est ensuite devenu un sujet de maîtrise des risques. Aujourd'hui, les entreprises se disent qu'elles peuvent peut-être gagner de l'argent grâce à cette question environnementale », résume Anne Chanon, directrice du pôle corporate d'Ethifinance. Impossible, donc, pour la direction financière de ne pas s'emparer de ce sujet.
Risques à tous les étages
Nous l'avons dit : la question environnementale porte dans son sillage celle des risques. En effet, si l'environnement se dégrade, les entreprises ne pourront plus fonctionner comme avant et feront face à des problèmes de sécheresse, de rareté des ressources, de difficultés de sourcing, etc... Autant de problématiques qu'il va falloir anticiper. "Concrètement, il s'agit d'être capable de mesurer ses émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes, d'identifier les sources d'approvisionnement qui sont menacées, de connaître ses consommations d'eau, d'évaluer ses besoins énergétiques, etc...", énumère Anne-Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic.
Autre risque : le positionnement sur des marchés qui, pour des questions environnementales, ne sont plus porteurs. Jean-Baptiste Cottenceau, directeur général de Sustainable Metrics, membre du réseau Crowe, donne l'exemple du plastique : « La question du plastique qui est en train de se poser va obliger les entreprises à faire avec moins ou différemment. Mais toutes ne vont pas y arriver. Il faut donc s'adapter dès maintenant aux évolutions de marché futures ». Notons d'ailleurs que certains établissements financiers, comme BNP Paribas, ont décidé de stopper le financement d'activités de pétrole et de gaz de schiste. Au risque d'une activité qui ne rapporte pas d'argent s'ajoute donc celui de ne pas pouvoir la financer.
Le risque réglementaire, également, est plus en plus prégnant : la question environnementale irrigue de nombreuses lois. Le devoir de vigilance, par exemple, invite les donneurs d'ordre à se soucier des pratiques environnementales de leurs sous-traitants. La taxe carbone, également, effective depuis 2014 en France, ne cesse de voir son coût augmenter. Citons également le reporting extra-financier qui a mué durant l'été 2017 en déclaration de performance extra-financière (DPEF) : les entreprises sont désormais obligées de publier une document, inséré dans leur rapport de gestion, qui comprend non seulement une analyse des principaux risques RSE mais aussi des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité.
Certes, ces rapports ne concernent pour l'instant que les sociétés cotées de plus de 500 salariés et affichant un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros ou un bilan de 20 millions d'euros et les sociétés non cotées de plus de 500 salariés et affichant un chiffre d'affaires ou un total de bilan excédant 100 millions d'euros. Mais beaucoup d'entreprises s'attèlent à l'exercice. Pour la simple et bonne raison que les différentes parties prenantes demandent ces informations. A commencer par les clients (notamment en btob, mais de plus en plus en btoc) mais aussi les financeurs, les salariés et futurs candidats, les fournisseurs...
Lire aussi : ESG : au dirigeant de s'engager !
Chercher des solutions de rupture
L'implication des différentes parties prenantes dans les questions RSE prouve une autre chose : il existe des opportunités à s'emparer de la question environnementale. Saliha Mariet, directrice des opérations du label LUCIE, pense que la RSE peut contribuer à la performance économique des entreprises de quatre manières différentes : la réduction des charges et des factures (en consommant moins d'énergie par exemple), la productivité des collaborateurs (car leur donner du sens influe sur leur motivation), la réduction des risques (dont nous avons parlé plus haut) et les opportunités pour innover. Sur ce dernier point, il est vrai que penser son entreprise différemment afin qu'elle soit plus respectueuse de l'environnement ouvre de nouvelles perspectives. « Se fixer des objectifs absolus, comme par exemple totalement stopper la consommation de plastique, oblige à chercher de vraies solutions innovantes, de ruptures », souligne Benjamin Enault, fondateur The Sense Activists et enseignant en RSE et Stratégie d'entreprise à l'EFAP.
C'est en se positionnant sur le créneau environnemental que le groupe Paprec, spécialiste du recyclage et de la valorisation des déchets, a multiplié son chiffre d'affaire par près de 500 en 25 ans d'existence. « Le recyclage trouve son bien-fondé économique dans le fait que la valorisation des matières premières issues du recyclage permettent de rendre l'offre recyclage financièrement plus attrayante pour les producteurs de déchets comparativement à l'enfouissement ou l'incinération qui s'avèrent être des solutions plus coûteuses", explique Charles-Antoine Blanc, Daf de Paprec. En effet, en recyclant, on crée de la matière première qui peut être revendue tandis qu'il faut au contraire payer pour enfouir ou incinérer ses déchets. La question environnementale peut donc devenir un vrai élément stratégique et créer de la valeur pour l'entreprise.
Les principaux risques liés à l'environnement pour les entreprises :
- non-conformité réglementaire
- sur-taxation
- problèmes d'approvisionnement
- activité perturbée par des raisons climatiques (sécheresse, inondation, etc...)
- obtention de financements
- investissement dans des équipements ou entreprises obsolètes
- pénurie de talents
- désintérêt des consommateurs
2. Mettez du vert dans vos financements
Preuve de l'intérêt grandissant des entreprises et de leurs parties prenantes pour la question environnementales : la montée en puissance des financements « verts ». Un sujet que les directions financières doivent évidemment prendre à bras le corps.
Il n'y a pas que le PGE pour financer les entreprises. Les financements "verts" continuent d'avoir le vent en poupe. D'après Axa IM, en 2020, les "green bonds" (ou obligations vertes) ont dépassé la barre des 1000 milliards de dollars d'émissions au niveau mondial. Un chiffre symbolique, certes, mais qui dit bien que les préoccupations environnementales sont toujours présentes, malgré la crise. Et cela ne devrait pas s'arrêter en 2021 : NN Investment Partners estime que les nouvelles émissions de green bonds en 2021 en Europe devraient augmenter de 1,5 points par rapport à 2020, pour atteindre 300 milliards d'euros. Certains experts tablent même sur 400 milliards d'euros.
Le marché du financement vert est en effet en pleine expansion. D'autant plus qu'il n'y a pas que les "green bonds" : les financements à impact, qui consistent à abaisser ou relever les taux d'emprunt en fonction de l'atteinte d'objectifs RSE pré-définis, intéressent également les entreprises. Sont notamment apparus récemment les "sustainability-linked bonds" (obligations à impact) dont les caractéristique (par exemple le taux d'intérêt) varient selon que l'émetteur atteint ou non des objectifs de développement durable préalablement définis dans le contrat d'émission. Les fonds durables, enfin, affichent des performances record, avec une collecte en 2020 de 100 milliards d'euros et une croissance des encours sous gestion de +66% en un an (chiffres de Novethic). Les Daf auraient donc tort de passer à côté de cette tendance qui est bien plus qu'un simple effet de mode.
Diversifier son actionnariat
Le premier avantage de la finance verte et de ses financements : la diversification de ses capitaux. Comme l'indique Brice Javaux, senior manager en développement durable /RSE chez KPMG France, « une des préoccupations des directeurs financiers est d'avoir un actionnariat large, diversifié et stable dans le temps ». Ainsi, s'ouvrir à ces nouveaux types de financements permet de répondre à cet objectif. C'était d'ailleurs une des motivations du groupe Paprec, qui fut la première ETI à émettre 480 millions de green bonds en mars 2015. L'opération a été renouvelée en 2018 mais c'est fois pour 800 millions d'euros de dette obligataire verte. « Recourir à des Green Bonds nous permet d'élargir notre base d'investisseurs, de les mettre en concurrence, et donc d'améliorer nos conditions de financement», explique Charles-Antoine Blanc. Concernant les financements à impacts, l'intérêt réside également dans le fait d'obtenir des taux attractifs, étant donné que ces derniers peuvent baisser si les objectifs RSE pré-définis sont atteints.
Anne-Catherine Husson Traoré, directrice générale de Novethic, observe également que les entreprises de secteurs plus problématiques pour l'environnement émettent des Green Bonds pour d'une part flécher la part verte de leurs activités et d'autre part attirer de nouveaux grands investisseurs. "C'est le cas par exemple d'Engie ou d'EDF qui financent leurs activités énergies renouvelables en émettant des Green Bonds dont sont exclues leurs activités nucléaires. Elles ont donc ainsi attiré de nouveaux financeurs, comme les grands fonds de pension nord européens qui excluent l'énergie nucléaire de leurs investissements", précise-t-elle. Avec les Green Bonds, on diversifie l'actionnariat avec de plus des investisseurs estampillés socialement responsables.
Indicateurs fiables et fédérateurs
Autre avantage des financements "verts" : définir une marche à suivre claire en matière d'environnement. « L'intérêt des financements à impacts, c'est de fiabiliser les indicateurs suivis comme le bilan carbone, les émissions de CO2, le renforcement de la part verte dans le chiffre d'affaires et dans les ventes, etc... Même s'il y a encore des efforts à faire pour que les indicateurs définis ne soient pas uniquement des indicateurs de moyens mais de performance », indique Michel Laviale, président du Club Finance de l'ORSE (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises). Les fonds durables, également, offrent cet avantage. A l'image d'Alter Equity qui a élaboré une grille de 90 critères RSE et demande aux entreprises d'en choisir 10 à 15 sur lesquels elles s'engagent à progresser.
Cette démarche environnementale précise peut de plus être diffusée en interne pour fédérer l'entreprise autour d'un projet porteur de sens. « Le « sustainable banking » apporte des leviers de motivation supplémentaires à l'entreprise. Par exemple, sur les crédits à impact, quand l'entreprise s'engage sur des KPIs, les employés constatent qu'il y a un réel enjeu, que ce n'est plus uniquement de la communication. L'objectif d'un crédit à impact sert souvent plus à engager l'interne qu'à gagner des points de taux d'intérêt », indique Anne Chanon, directrice du pôle corporate d'Ethifinance. La direction financière devient alors le point de départ d'une stratégie environnementale forte, basée sur des indicateurs fiables.
On peut même imaginer objectiver les salariés sur ces mêmes indicateurs, afin que toute l'entreprise aille dans la même direction. Chez Decathlon, les financements à impacts sont l'occasion de récompenser ou de sanctionner les filiales, selon leurs résultats par rapports aux critères pré-définis. "De la même façon que l'entreprise est sanctionnée par un bonus ou un malus par ses financeurs", précise Domingos Antunes, directeur trésorerie et financement de Decathlon.
Benoît Rousseau, directeur de la trésorerie et des assurances du groupe Bel, reconnaît que les financements à impacts ont le pouvoir de fédérer en interne. Il pense également qu'un message positif est envoyé aux différentes parties prenantes de l'entreprise : « En intégrant des critères environnementaux dans nos financements, nous voulions faire comprendre notre stratégie environnementale à toutes nos parties prenantes, leur montrer que nous étions prêts à prendre des risques pour l'environnement vis-à-vis de nos investissements ». Selon lui, il y a une réelle pression des consommateurs mais aussi des investisseurs sur ce sujets environnementaux. "Les agences de notation financière, par exemple, introduisent une composante RSE dans leurs évaluations. Les entreprises en avance sur ce sujet ne vont pas forcément se financer moins cher mais celles qui ne sont pas engagées dans la RSE vont avoir du mal à trouver des financements », prévoit-il.
Les marchés, alliés de la transition énergétique
La montée en puissance de ces financements "verts" traduit en effet une réelle tendance des établissements financiers et des investisseurs à s'intéresser à la question environnementale. « Les labels ISR et Greenfin sont en train de monter en puissance, les analystes financiers élargissent leurs compétences aux indicateurs extra-financiers », observe Mélodie Merenda, chef de projet RSE et Economie circulaire au sein d'Afnor. Aux côtés des Green Bonds, des financements à impacts et des fonds durables, émergent d'autres initiatives environnementales au sein des banques. Comme le Green Weightig Factor lancé par Natixis en 2019.
Le principe est simple : pour chaque secteur sur lequel intervient l'établissement financier, des critères ont été définis afin de classer (du brun au vert) les entreprises mais aussi les projets financés en fonction de leur impact environnemental. Ainsi, les décisions de financer ou non un projet prennent également en compte cette dimension. « L'objectif est de verdir notre portefeuille afin notamment d'anticiper de futures évolutions règlementaires, dont des stress tests climatiques. En effet, de tels tests ne devraient plus tarder : nous sommes régulièrement interrogés par le régulateur sur notre prise en compte des risques climatiques dans nos financements », rapporte Karen Degouve, responsable du développement finance durable chez Natixis. Cette initiative a eu pour avantage de faire intervenir les sujets environnementaux quasi systématiquement dans les décisions de financement. Ce qui n'était jamais le cas auparavant. « Cela permet par exemple de favoriser des projets verts dont le niveau de rentabilité n'aurait peut-être pas permis de passer le comité de crédit auparavant », raconte Karen Degouve.
Est-ce à penser, comme le postule Jérémy Rifkin dans son nouvel ouvrage "Le New Deal Vert Mondial" (éditions Les liens qui libèrent) que les marchés seront les alliés de la transition énergétique ? Certainement, si les banques et les investisseurs libèrent les capitaux pour financer des projets "verts" et arrêtent au contraire de financer des activités néfastes pour l'environnement. Reste à s'assurer que les fonds versés sont bien à destination de projets RSE et que les critères d'évaluation soient bien pertinents.
La finance verte et ses types de financements
- Les Green Bonds : les "obligations vertes" sont émises par les entreprises sur les marchés financiers pour financer des projets contribuant à la transition écologique ; ces dernières doivent s'engager sur l'usage précis des fonds récoltés et publier un rapport pour en rendre compte aux investisseurs
- Les financements à impacts (ou Sustainable Loans) : les crédits à impacts positifs sont souscrits auprès d'établissements financiers ; leur particularité réside dans le fait que le taux d'emprunt est indexé sur des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance pré-définis
- Les sustainability-linked bonds : sorte de fusion entre les green bonds et les sustainable loans, ces nouveaux produits financiers sont des obligations dont les caractéristique (par exemple le taux d'intérêt) varient selon que l'émetteur atteint ou non des objectifs de développement durable préalablement définis dans le contrat d'émission
- Les fonds durables : ils investissent dans des entreprises dont l'activité n'est pas controversée et qui suivent certains principes du développement durable
- Les aides de l'État conditionnées : des aides gouvernementales, régionales, départementales mais aussi européennes pour épauler les entreprises dans leur transition énergétique existent ; telle que l'Ademe qui soutient la réalisation de projets environnementaux
3. Des indicateurs fiables pour des actions efficaces
La direction financière peut se soucier de la question environnementale au-delà de l'aspect gestion des risques et obtention de financements. Il peut apporter son expertise du pilotage et des KPIs afin de produire des reportings extra-financiers réellement stratégiques et opérationnels pour mettre l'environnement au coeur même de l'activité de l'entreprise.
« Si seules les directions de la communication et de la RSE s'occupent de la question environnementale, une faible quantité de projets à retour sur investissement sur le temps long seront validés. Le Daf doit être impliqué pour définir des metrics plus intégrés dans les mécanismes de prises de décision pour favoriser ces financements », souligne Brice Javaux, senior manager en développement durable/RSE chez KPMG France. En effet, c'est le rôle de la direction financière d'apporter son expertise en termes de pilotage et d'indicateurs pour fiabiliser les reportings extra-financiers avec des chiffres indiscutables, valoriser les actions environnementales de l'entreprise et aussi chiffrer économiquement les efforts qu'il reste à faire pour prendre les bonnes décisions d'investissement.
Décisions d'investissement à caractère écologique
En tant que gardien du temple, la première contribution du Daf à la question environnementale est naturellement celle des décisions d'investissement. En effet, ce sera lui qui libérera les budgets pour mener à bien des actions RSE. « Beaucoup d'entreprises font de la communication autour de l'environnement mais ne libèrent pas de budget pour réaliser de vrais projets. Quand les actions sont sérieuses, le Daf est impliqué à chaque fois notamment pour calculer les impacts financiers », note Jean-Baptiste Cottenceau, directeur général de Sustainable Metrics, membre du réseau Crowe.
Cela est d'autant plus important que, au-delà de permettre à la planète d'aller mieux, intégrer des données environnementales dans ses décisions d'investissement peut ouvrir de nouvelles opportunités. "Dans de nombreux secteurs, il existe une corrélation entre hausse de la demande et/ou du prix et la qualité environnementale du produit ou du service vendu (produits alimentaires bio, électroménager blanc A+++ ...). Les DAF doivent être attentifs à ce que ces produits et services verts soient correctement valorisés dans le Business Plan via une marge ou un CA additionnel", indique Patrick Foltzenlogel, CFO et project manager chez I Care Environnement. Il pointe par ailleurs les économies que peuvent générer des actions d'efficacité énergétique : "la direction financière peut avoir un intérêt à comprendre un bilan de gaz à effet de serre et regarder si des économies peuvent être générées par les contributeurs clés, pour les scopes 1 (émissions directes) et scope 2 (émissions indirectes) liées aux consommations énergétiques".
Parallèlement, inclure des données écologiques avant d'acquérir une nouvelle entreprise, du nouveau matériel, un nouveau bâtiment, etc... permet également d'éviter d'investir dans du matériel et des activités néfastes pour la planète mais aussi pour l'entreprise. « Intégrer des critères environnementaux dans les prises de décision concernant les investissements permet d'éviter des passifs ou des pertes futurs, qu'il s'agisse de sols pollués lors d'une acquisition ou de tensions à venir sur le prix du carbone par exemple », appuie Eric Duvaud, associé EY Sustainability.
Claire Tutenuit, déléguée générale des Entreprises pour l'Environnement (EpE), estime que toutes les entreprises devraient définir un prix interne du carbone. « C'est un outil facile à mettre en place et qui permet de réellement embarquer la question environnementale dans les décisions d'investissement et d'éviter d'investir dans des équipements fortement émetteurs en CO2 ; c'est par ailleurs un véritable outil d'analyse de risque car le prix du carbone est en discussion dans tous les pays ».
Les entreprises ne sont cependant pas assez ambitieuses sur ce sujet et ne valorisent le coût du carbone qu'à 30 euros la tonne, voire 250 euros dans le meilleur des cas... "Les ONG environnementales recommandent d'aller jusqu'à 1000 euros la tonne pour que le carbone pèse vraiment dans les prises de décision. Sinon, le pourcentage du coût total est tellement faible que l'effet est insignifiant et ne fait pas évoluer les business models", pointe Patrick Foltzenlogel.
La DPEF de plus en plus utile
Il s'agit donc d'intégrer des critères environnementaux dans les décisions d'investissement mais de manière sérieuse et globale. Grâce à des indicateurs qui permettent d'identifier les actions environnementales menées avec succès et surtout les actions environnementales à conduire et les budgets nécessaires associés. C'est normalement l'objectif des rapports extra-financiers, notamment depuis l'instauration de la déclaration de performance extra-financière (DPEF). Un document qui, s'il est rédigé avec sérieux, peut non seulement dégager les performances environnementales des entreprises mais aussi les stratégies à tenir pour le futur.
Et également convaincre les parties prenantes de l'engagement de l'entreprise sur ces sujets. « Tout le monde communique sur de l'extra financier mais pas de manière standardisé. Avec la DPEF, on veut tendre vers un cadre normé, ce que recherchent les Daf qui veulent pouvoir se comparer par rapport à la moyenne mais aussi répondre plus facilement aux agences de notation, en fournissant à toutes la même information », résume Léa Dunand Chatellet, responsable du pôle investissement responsable chez DNCA.
Cela est d'autant plus vrai que les entreprises élaborent la DPEF avec de plus en plus de sérieux : alors que, lors d'une étude menée en juillet 2019, le Medef, Deloitte et EY relevaient que seules 1/4 des entreprises présentaient des objectifs chiffrés dans leur déclaration, une nouvelle étude menée en septembre 2020 rapporte que 84% des entreprises se fixent des objectifs de manière quantitative. En matière environnementale, 77% des entreprises ont des objectifs quantitatifs concernant le climat (100% dans les secteurs industriels), 99% reportent sur les émissions de GES scopes 1 et 2, 75% sur certains postes du scope 3 ; 44% ont un indicateur au moins sur l'impact environnemental de leurs produits ou services.
Des reportings de plus en plus intégrés
Afin de permettre aux reportings extra-financiers d'être plus qu'un simple exercice de communication, différentes initiatives ont vu le jour. Comme le reporting intégré qui, promu par l'IIRC (International Intergrated Reporting Concil), a pour objectif de mêler données financières et extra-financières afin de faire valoir auprès des investisseurs aussi bien les performances financières que ESG et surtout de permettre à ces derniers de comparer deux entreprises à partir de données tangibles.
Brice Javaux cite également l'initiative de la Taskforce on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) : "L'objectif est de porter un regard sur les risques dits physiques et de transition liés au changement climatique afin d'identifier et si possible chiffrer les vulnérabilités de la chaîne de valeur d'une organisation, et les actions à mener et les capitaux à aligner pour répondre aux risques et opportunités identifiés en se projetant sur le long terme".
Laurent Bazin, dirigeant d'Axis Experts Conseils, a lui aussi développé une démarche permettant de davantage intégrer l'extra-financier au financier : les reportings extra financiers viennent questionner dans le bilan comptable si les actions environnementales ont véritablement été prises en compte."Si on voit que les objectifs environnementaux annoncés dans le reporting correspondent à une dépense c'est qu'ils sont pris au sérieux par l'entreprise", résume Laurent Bazin.
Vers la comptabilité environnementale ?
Cette démarche peut être vue comme un premier pas vers la comptabilité environnementale. Cette méthodologie est en train d'émerger timidement. Notamment grâce à Hervé Gbego, CEO de Compta Durable, qui a mis au point la méthodologie CARE, en association avec des chercheurs tels que Jacques Richard, professeur à l'université Paris Dauphine, et Alexandre Rambaud, maître de conférence à AgroParisTech . "L'objectif est non pas de s'intéresser à ce que la nature peut rapporter à l'entreprise, comme le font les reportings intégrés, mais de la valoriser en tant que patrimoine, au même titre qu'un patrimoine financier mis à disposition par un actionnaire : ce capital naturel peut être utilisé mais il doit être restitué », décrit-il.
Ce qui veut dire que les entreprises doivent se poser la question de leurs actions qui consomment du capital naturel pour mettre en face des mesures aptes à le rembourser. Une méthode qu'approuve Jean-Baptiste Cottenceau : « A l'heure actuelle, la consommation d'eau apparaît dans les comptes mais sans lien avec la préservation des ressources en eau de la planète. Pour le bilan carbone, c'est la même chose : la taxe carbone ne touche actuellement pas tous les domaines et est encore globalement indolore pour les comptes de résultats. Certains sites industriels sont obligés de provisionner pour la dépollution des sols, pourquoi ne pas passer des provisions pour les aspects environnementaux significatifs ?»
Il s'agit donc d'une toute autre façon de penser, qui ne fait pas forcément des émules auprès des directions financières. "C'est indéniablement compliqué à mettre en place, reconnaît Alexandre Rambaud. Mais la mise en place des amortissements le fut également. Or, la comptabilité est le langage de l'entreprise et si cette dernière veut mener une véritable transition écologique, la comptabilité doit évoluer." Pour lui, les rapports extra-financiers se limitent à présenter des efforts, ce qui n'est pas suffisant pour changer la donne.
La méthode CARE se base sur des rapports scientifiques, comme ceux du GIEC, pour évaluer le chemin qu'il reste à parcourir afin de préserver le climat, la biodiversité, les nappes phréatiques, etc... Et budgéter en face les actions nécessaires. Le chercheur pense que les entreprises qui se lanceront dans la comptabilité environnementale présenteront un réel avantage concurrentiel car leurs actions environnementales seront sérieuses, chiffrées et ne pourront absolument pas être taxées de greenwashing. "Cette méthodologie pourrait réellement être intéressante pour les financements à impacts : on s'appuierait sur des éléments tangibles et non pas sur des intentions qui ne servent qu'à s'acheter une bonne conscience", propose Jacques Richard.
Le Daf de L'Oréal, Christophe Babule, a manifesté son intérêt pour la comptabilité environnementale lors d'un webinaire organisé par PME et l'Essec sur la contribution des Daf à la politique RSE de leur entreprise. "Nous souhaitons tester plusieurs solutions en interne car l'heure est à l'action et non plus à la réflexion", a-t-il souligné, formulant son souhait d'avoir un compte d'exploitation carboné de manière à ce que, demain, l'ensemble des décideurs du groupe aient une vision économique complémentée d'une vision extra-financière afin de les guider dans leurs décisions.
Les promoteurs de la comptabilité environnementale sont cependant conscients qu'il faudra passer à termes par une réglementation pour l'imposer à toutes les entreprises, si possible au moins à l'échelle européenne, pour pouvoir réellement voir émerger les entreprises qui font des efforts pour l'environnement par rapport aux autres.
Que retenir en matière de pilotage ?
- intégrer des données environnementales dans les décisions d'investissements
- mener des actions d'efficacité énergétique
- déterminer un prix interne du carbone significatif
- aller vers un reporting intégré
- mener un audit sincère de l'impact environnemental de sa société
- chiffrer les objectifs environnementaux
- valoriser les actions déjà menées à travers des résultats chiffrés
- faire apparaître les actions environnementales dans le bilan comptable
- envisager la comptabilité environnementale