[Enquête] Entrepreneuriat : les quartiers, source de talents
L'entrepreneuriat n'est pas l'apanage d'un certain public, réservé à une élite. Dans les quartiers où le chômage est deux fois plus élevé que la moyenne, il est parvenu à se faire une place ces vingt dernières années. Véritables viviers d'idées et de talents, les cités écrivent dorénavant des success story d'entrepreneurs qui changent l'image de ces territoires.
Je m'abonne"Aujourd'hui, il est encore compliqué pour un investisseur de se dire qu'il financera une start-up en Seine-Saint-Denis", remarque Romain Jullien, responsable de la pépinière de La Courneuve. Lui, a quitté son poste au sein d'un incubateur parisien pour se dédier à la création de valeur dans le 93. Entourée des hauts bâtiments de la Cité des 4 000, la pépinière est inaugurée en 2005 par l'association La Miel et le Territoire Plaine Commune. "Elle vise à redynamiser économiquement le quartier. Depuis sa création, 120 projets y sont passés en résidence, ajoute Romain Jullien. Lorsqu'une entreprise veut y entrer, nous analysons son potentiel social et économique, c'est-à-dire ses capacités à créer des emplois sur le territoire." Les entrepreneurs peuvent y rester durant six ans. Au terme de leur hébergement, ils sont incités à s'établir à proximité pour créer de la richesse immédiate. Ici, la moitié des profils viennent des alentours, les autres d'ailleurs. 80 % possèdent un bac +5. Un comité de sélection veille à cet équilibre afin de favoriser la diversité des projets.
Plus que du social
Dans l'"Atlas des inégalités territoriales" publié en 2019, La Courneuve affiche des taux de chômage de 27 % et de pauvreté de 43 %. La même année que la création de la pépinière, un jeune de 11 ans est tué par une balle perdue, entouré de ces mêmes grandes barres d'habitations. Quelques jours plus tard, le président de l'époque, Nicolas Sarkozy, déclare : "On va donner des moyens utiles. [...] Je mettrai les effectifs qu'il faut, mais on nettoiera au Kärcher la Cité des 4 000."
En parallèle des réponses politiques et policières, la classe économique envisage l'exploration d'autres solutions, en témoigne le président d'Initiative France, Guillaume Pepy : "Nous ne pouvons plus aujourd'hui arriver dans ces territoires avec une optique purement sociale. C'est le développement économique qui permet d'améliorer la qualité de vie de ses habitants et de réduire la pauvreté. Dans les quartiers, créer son entreprise, cela revient souvent à créer son emploi, devenir son propre patron et affirmer sa réussite." Une création de valeur qui fait sens pour les acteurs de terrain... "Il y a un potentiel à étendre sur le territoire des projets de pépinières, car la part d'entrepreneurs grandit dans la population. En plus, notre action dans les quartiers permet de faire changer les mentalités", ajoute Romain Jullien.
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Male hand making a pile of eggs isolated on a white background. Balance concept.
Dans le même sillon, Sophie Jalabert, déléguée générale de BGE, va encore plus loin : "Les quartiers sont un vivier d'idées avec un fort potentiel entrepreneurial." Dans la publication spéciale "Concours Talents des Cités" de Bpifrance/Usbek&Rica, les auteurs mettent en avant l'aspect économique et historique de ces territoires : "Avec la fin des Trente glorieuses, ils hébergent la première population de chômeurs. [...] Malgré tout, ils restent hors du champ de développement économique. Encore trop perçus comme des territoires de main-d'oeuvre, c'est l'augmentation des prix de l'immobilier qui pousseront les entreprises à s'y installer et en développer l'activité économique."
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Témoignage
"C'est un vivier qui peut construire un écosystème"
Séna Adjovi, président de Green Riders
"Il y a plusieurs avantages à être basé à Saint-Denis ! Déjà, l'intérêt géographique avec la proximité de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et de Paris, mais aussi pour la pluralité des talents", affirme Séna Adjovi, fondateur de Green Riders. Son entreprise, qui commercialise, loue et répare des trottinettes électriques, il la définit comme multiculturelle et tournée vers la France et l'export. "Nous avons passé le cap de dire que Green Riders est une société du 93, car notre ambition est internationale", argumente l'entrepreneur. Fondée en 2017, elle compte 150 revendeurs en France et 50 en Europe.
Ce rayonnement à l'étranger a, selon lui, été permis par la participation à différents salons, notamment le CES de Las Vegas : "Cela nous a donné une légitimité et une crédibilité sur le marché de la mobilité." Entre 2018 et 2019, Green Riders réalise son expansion, jusqu'à ouvrir un showroom à Dubaï. "Le secteur n'était pas encore réellement implanté au Moyen-Orient, nous partions alors d'une feuille blanche", se rappelle le Séquano-Dionysien. Avec ses 20 000 ventes et 5 000 réparations en 2020, Séna Adjovi souhaite séparer la communication de son entreprise de ses revendications personnelles.
Lui, qui a commencé à entreprendre dans le 93 en 2004, souhaite promouvoir les diverses ambitions et nombreux projets qui naissent au sein du département. "Il y a des gens brillants qui ont envie de réussir et d'aider. C'est un vivier qui peut construire un écosystème. C'est important de mettre en lumière un département qui peut être moteur pour la région et peut-être plus", esquisse-t-il. Cette ambition personnelle à échelle locale et nationale, il la construit en parallèle de la vision internationale de son entreprise. Il envisage même le mentorat. Selon lui, l'entraide doit rester une qualité importante de l'entrepreneuriat.
Green Riders
Vente, distribution et entretien de solutions de mobilité
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)
Sena Adjovi, 39 ans, président
SAS Green Riders › Création en 2017 › 60 salariés
CA 2020 NC
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