Fermes de Figeac : un cas de réveil des territoires à méditer
Publié par La rédaction le | Mis à jour le
Dans un territoire rural isolé, une petite coopérative agricole a refusé le déclin. Avec persévérance et imagination, elle a réinventé so...
Dans un territoire rural isolé, une petite coopérative agricole a refusé le déclin. Avec persévérance et imagination, elle a réinventé son agriculture et son territoire. L'avenir des territoires n'est pas compromis, il pourrait même servir de socle à un redressement national de type bottom-up.
L'actualité met l'accent sur la coupure entre Paris et les territoires, notamment ceux à l'écart des grands moyens de communication et ancrés dans la ruralité. On y voit une fatalité regrettable, pourtant des entreprenants trouvent des réponses locales, souvent inventives. Nous en avons vu un exemple avec le renouveau de Romans-sur-Isère, en voici un autre particulièrement inspirant, celui de Fermes de Figeac.
Aux confins du Lot et du Cantal, le territoire agricole de Figeac s'est délité au fil des ans : isolement géographique, concurrence des petites exploitations par l'agro-industrie, départ des jeunes. Un constat s'impose en 1994, selon Dominique Olivier, le directeur de la coopérative :
" Nous étions confrontés à une perte globale de valeur ajoutée avec un territoire rural en déclin, où s'imposait un marché dérégulé, soumis aux fluctuations impossibles à anticiper des marchés mondiaux. Jadis, il existait une importante production locale de fraises et autres fruits rouges, mais désormais les fruits venaient de Pologne, d'Ukraine ou du Chili. La main d'ouvre familiale n'existait plus, les fermes s'étant agrandies et robotisées, les productions à forte valeur ajoutée avaient disparu. Le monde rural cédait la place à l'agriculture entrepreneuriale. "
Il demande alors à deux jeunes ingénieurs de l'aider à appréhender le rôle de chacun sur le territoire. L'étude montre que les enfants d'agriculteurs aimeraient rester au pays et leurs parents les y garder, à condition qu'ils aient une qualité de vie décente. Elle note aussi, point important, que les habitants s'identifiaient comme n'étant ni du Cantal ni du Lot, ce qui ne créait pas une forte identité.
Il aura fallu vingt-cinq années d'initiatives pour donner corps à l'identité Pays de Figeac en valorisant la production locale.
Quelques agriculteurs produisaient du yaourt, d'autres de la saucisse fraîche ou autres spécialités. La coopérative ouvre un espace de produits régionaux à Figeac. Alors qu'en 2000 son chiffre d'affaires était de 150 000 euros, il est aujourd'hui de 3 millions pour le magasin de Figeac et de 5 millions pour l'ensemble des magasins de la coopérative.
En 2000, lors de la crise de la vache folle, des agriculteurs se rendent compte que dans les rayons viande des grandes surfaces de Figeac, rien ne provient du territoire. Ils poussent la coopérative à créer sa propre boucherie dans son magasin Gamm Vert à Figeac. Elle emploie désormais, dans trois boucheries, onze bouchers qu'elle a formés en leur faisant passer des CAP, créant et préservant ainsi la valeur ajoutée sur le territoire.
En 2003, la coopérative perçoit un risque de conflit entre le monde agricole et le territoire : des associations se créent contre l'épandage du lisier ou les activités agricoles qui troublent la tranquillité des quartiers résidentiels. Elle communique activement auprès des élus et organise une fête, qui réunit maintenant chaque année quelque 700 marcheurs allant de ferme en ferme, un rituel qui contribue au vivre-ensemble.
En 2008, elle s'interroge à nouveau sur son avenir et mène un travail de prospective collaborative, qui dégage trois scénarios :
C'est sur le troisième scénario qu'elle travaille depuis, en s'investissant dans des projets de territoire.
À la suite de visites à Fribourg, territoire pionnier en matière d'énergies renouvelables, elle lance un projet mutualisé de construction de 7 hectares de toits photovoltaïques sur 190 bâtiments agricoles. Les agriculteurs financent à 20 % leur installation, le reste étant emprunté par une société commune à tous les projets. Celle-ci reverse un tiers des bénéfices aux fondateurs, met un deuxième tiers en réserve et réinvestit le reste au service du territoire.
En 2009, la coopérative participe à la construction du premier parc éolien et participatif du Lot. Elle sollicite l'épargne locale et réunit 3,5 millions d'euros. Ces éoliennes sont désormais celles des habitants. Elle travaille aussi sur des projets de méthanisation, reprend la dernière scierie du territoire et décide de créer, avec quatre entreprises, une crèche de vingt berceaux, ainsi qu'une conciergerie solidaire.
En relation avec le Labo de l'ESS, elle travaille à l'élaboration des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Une dizaine de cofondateurs créent en 2015 le PTCE Figeacteurs, qui associe des contributeurs de diverses origines autour de la question : " Que pouvons-nous faire ensemble que nous ne pouvons pas faire seuls ? "
Par exemple, sur les 7 500 tonnes de légumes consommés par les habitants du territoire, seulement 400 étaient produites localement. Or, dans le PTCE, une entreprise s'occupant de personnes handicapées avait parmi ses métiers la restauration collective. Ensemble, ils conçoivent un projet de légumerie, entreprise adaptée réalisant 2 000 repas par jour et travaillant avec une entreprise d'insertion par le maraîchage.
Nous pouvons également citer le projet sur la mobilité lancé par le PTCE, idée prémonitoire. Les 4 500 personnes interrogées font en moyenne 20 kilomètres par jour pour aller à leur travail, frais qui représentent un tiers du smic. Avec un certain nombre d'entreprises, un appel d'offres est lancé pour acquérir une vingtaine de voitures électriques et mettre en place des espaces de covoiturage. Un labo de la mobilité est même créé pour étudier toutes les formes possibles de mobilité durable.
L'aventure de Fermes de Figeac est un cas exemplaire de territoire qui se redresse par ses propres moyens. En terme de management, c'est un modèle de démarche jardinière : les évolutions dépendent des opportunités qui se présentent et des possibilités de les faire prospérer sur le moment. Les idées de création d'une crèche ou d'autopartage électrique ne pouvaient pas être imaginées dix ans plus tôt, voire même étaient impensables. On comprend ici à quel point les démarches planificatrices centralisées sont incapables de remplacer l'énergie participative, l'intelligence de situation et la patience collective d'un territoire qui se mobilise pour s'en sortir.
Fermes de Figeac a valeur d'exemple pour d'autres entreprenants dans les territoires. Ils se réunissent d'ailleurs de plus en plus pour débattre des nouvelles modalités qu'ils expérimentent. Si l'aménagement du territoire a longtemps été dominé par une conception jacobine, l'heure est venue de laisser la main aux entreprenants des territoires qui sauront ressourcer le pays par un processus bottom-up, moins onéreux que les projets " descendants ".
Pour en savoir plus : Fermes de Figeac, de la coopérative agricole à la fabrique de territoire.
Article publié à l'origine sur The Conversation le 16 janvier 2019.