Le boom des entreprises à mission
Publié par Emilie Kovacs, rédactrice en chef d'EKOPO le | Mis à jour le
88 entreprises sont devenues sociétés à mission en 2020 et 10 000 entreprises pourraient faire évoluer leurs statuts d'ici 2025.
Par Emilie Kovacs, fondatrice et rédactrice en chef d'EKOPO
88 entreprises sont devenues sociétés à mission en 2020 et 10 000 entreprises pourraient faire évoluer leurs statuts d'ici 2025.
Créée en octobre dernier par Emery Jacquillat, le président de la Camif , la Communauté des Entreprises à Mission a dévoilé vendredi les résultats de son Observatoire des Sociétés à Mission . "Cet observatoire prendra le pouls en temps réel de cette révolution de l'entreprise du 21e siècle, ouvrant à la réconciliation entre performance et impacts positifs", souligne Emery Jacquillat. Découvert il y a un peu plus d'un an après la promulgation de la Loi PACTE, ce nouveau modèle d'entreprise séduit massivement les entreprises. "Nous avons des demandes d'adhésion tous les jours en ce moment", confirme Anne Molley, directrice générale de la Communauté des Entreprises à Mission qui compte déjà 170 membres.
Les sociétés à mission, dont le nombre était de 88 fin 2020, ont enregistré une forte accélération au dernier trimestre (+ 60%) et devraient continuer de prendre de l'ampleur en 2021. Ce mouvement, qui a réellement démarré en 2020, reflète la dynamique enclenchée au sein du tissu économique français : 2/3 des sociétés à mission sont des TPE et des PME de moins de 50 salariés. Il ne s'agit d'un modèle réservé ni aux grandes, ni aux petites entreprises. Les TPE et les PME devraient rester majoritaires parmi les sociétés à mission, et les ETI et les grands groupes rejoindront probablement en plus grand nombre le mouvement dès 2021.
Dans l'Observatoire, l'analyse par secteurs d'activité révèle une prédominance des services (79 % des sociétés à mission), suivi loin derrière par le commerce (12%) et l'industrie (9%).
De même, la répartition géographique des sociétés à mission s'avère hétérogène sur le territoire français : si l'on en trouve dans 11 des 13 régions métropolitaines, leur répartition est très variable. L'Ile de France compte à elle seule 62% des sociétés à mission françaises. La Nouvelle Aquitaine arrive en deuxième position, suivie par Auvergne-Rhône Alpes, Occitanie et les Hauts de France. Enfin, les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Grand Est ne dénombrent que très peu de sociétés à mission, en comparaison de leur dynamique économique, tandis que la Normandie et la Corse n'en recensent pas encore.
Les sociétés à mission sont plutôt jeunes : plus de la moitié d'entre elles ont été créées il y a moins de 10 ans. Parmi elles, une sur cinq est " née à mission ". La qualité de société à mission est une forme d'entreprise innovante qui touche à la fois les entreprises qui s'engagent dans une évolution de leur modèle et celles dont la mission est intrinsèque à leur activité. Dans cette deuxième catégorie, les entreprises relevant de l'ESS avec les mutuelles et les coopératives au premier plan, représentent 11 % des sociétés à mission, soit deux fois plus que la moyenne nationale. De même, sur les 88 sociétés à mission, 13 sont labellisées B Corp.
" La loi Pacte a été créée comme une boîte à outils dont les entreprises étaient invitées à s'emparer : c'est une loi de responsabilisation du capitalisme qui a le mérite d'être extrêmement opérationnelle et de positionner la France en pionnière d'un vrai débat de société à l'échelle européenne ", souligne Olivia Grégoire, Secrétaire d'Etat à l'Economie Sociale, Solidaire et Responsable.
Pour 36% des entreprises interrogées, la principale motivation est de répondre à "des enjeux de transition (sociale, écologique, économique)". Suivent en proportion similaire des enjeux plus précis : " préserver des écosystèmes naturels ou des biens communs ", " consolider les relations avec l'écosystème " (chaîne de valeur, partenaires, clients, ONG...), " améliorer l'engagement des collaborateurs et la marque employeur " et enfin " pérenniser des engagements " (face à des changements potentiels d'actionnaires / direction).
Pour les acteurs impliqués dans la démarche, les préoccupations internes à l'entreprise sont prioritaires. Bien que l'équipe de direction générale soit très majoritairement impliquée dans la formalisation de la mission, la vision et l'impulsion du dirigeant sont quasiment toujours à l'origine de la démarche. Les salariés et actionnaires sont consultés dans la majorité des cas, ce qui n'est pas encore le cas des parties prenantes externes (dont les clients), qui ne sont impliquées que dans 2 cas sur 5.
Si la définition de la mission s'élabore essentiellement en interne, la composition du comité de mission fait la part belle à l'externe : 4 entreprises sur 5 ont intégré au moins une partie prenante externe dans la gouvernance de la mission, avec une présence fréquente des experts, des chercheurs, des clients et des actionnaires.
L'Observatoire indique un enrichissement mutuel de la Raison d'être et des objectifs statutaires qui répondent simultanément à deux questions : ce qu'est l'entreprise et sa contribution à la résolution des grands enjeux sociaux et environnementaux. Les missions des entreprises ayant effectué leur changement statutaire peuvent se classer en deux grandes catégories : Celles ayant fait le choix de raisons d'être aspirationnelles assorties d'objectifs factuels et celles ayant privilégié des raisons d'être et objectifs très orientés sur l'activité de l'entreprise. Rares sont les entreprises qui ont décliné des objectifs déconnectés de leur cour d'activité. Cela illustre aussi la pertinence de la qualité de société à mission qui permet à la fois d'embrasser toute l'ambition transformative de l'entreprise et de la décliner en actions concrètes de long terme.
Les raisons d'être et les objectifs traitent effectivement des enjeux sociaux et environnementaux. Les raisons d'être intègrent un prisme social dans 3 cas sur 4 et des enjeux environnementaux dans 2 cas sur 3. Et plus de la moitié des sociétés à mission combinent les enjeux sociaux et environnementaux. Les objectifs statutaires sont, quant à eux, quasi systématiquement à la fois sociaux et environnementaux. Un mouvement qui va fortement s'accélérer dans les années à venir.
" La société à Mission est une innovation juridique qui fait de la France un pionnier de la gouvernance responsable des entreprises, en protégeant leurs ambitions sociales et environnementales. Ce mouvement inédit n'en est qu'à ses débuts, et toutes les expérimentations qui se déploient aujourd'hui sont très importantes pour assurer la crédibilité et le succès de cette qualité " précise Kevin Levillain, Enseignant-chercheur à Mines ParisTech, co-titulaire de la chaire Théorie de l'Entreprise.