Précarité menstruelle, la double peine
Publié par La rédaction le | Mis à jour le
Sept euros pour une boîte de serviettes hygiéniques, cinq pour des tampons. Ces dépenses mensuelles ne sont pas possibles pour toutes : l...
Dans la rue, les inégalités femmes-hommes sont amplifiées. Selon une étude de l'Insee réalisée en 2012, deux sans-abri sur cinq sont des femmes. Aux souffrances physiques, morales et aux difficultés financières s'ajoutent des conditions d'hygiène terribles. Dans ce contexte, difficile de se procurer chaque mois des protections hygiéniques pour faire face à ses menstruations. C'est la précarité menstruelle. En France, contrairement à l'Angleterre, aucune étude chiffrée ne permet de poser un constat sur cette problématique. Certaines organisations en ont pris conscience et tentent de trouver des solutions.
Avenue du Prado, dans les quartiers sud de Marseille, Dominique et Michelle commencent leur tournée. Les deux amies font des maraudes tous les mercredis, par leurs propres moyens. Café et viennoiseries dans le coffre, elles sillonnent les rues de la ville à la recherche de leurs " habitués ". Parmi eux, Josiane. Emmitouflée dans une doudoune grise, elle vient chercher un peu de nourriture. Josiane vit dans un taudis insalubre de huit mètres carrés, sans revenus, ni eau courante. L'hygiène et les règles ? La Marseillaise évacue le sujet, entre gêne et pudeur. " Je me débrouille pour ces choses- là ". Quand elles le peuvent, Michelle et Dominique lui récupère des sous-vêtements et des protections.
Règles Elémentaires en a fait son combat, depuis sa création en 2015. A l'origine de l'association, Tara Heuzé-Sarmini, étudiante à Sciences Po Paris. Pendant sa scolarité, la jeune femme part faire un séjour en Angleterre. De retour sur le sol français, elle ne peut que constater les lacunes et organise une première collecte de protections hygiéniques. Aujourd'hui, l'association fête ses trois ans. " Nous avons distribué plus de 200 000 protections à destination de 20 000 femmes " annonce fièrement Marion Breelle, coordinatrice de l'association à Marseille. " Nous rencontrons un succès important, malheureusement, concède la militante. L'année dernière, l'association a donné une grosse impulsion pour recruter des bénévoles en région ".
Règles Elémentaires ne fait pas de maraudes dans la rue pour distribuer des protections hygiéniques. L'association se positionne plutôt comme un intermédiaire. Elle met à disposition des boîtes à dons pour récolter les produits périodiques. Tout le monde peut planifier une collecte. " Une de nos bénévoles en a organisé une le jour de son mariage, qui a très bien marché ". Règles Elémentaires récupère ensuite la boîte, fait un inventaire et donne son contenu aux associations de terrain, qui vont à la rencontre des femmes dans le besoin. Marion vient d'arriver dans la cité phocéenne, alors les partenariats se lancent petit à petit. " Nous avons des liens avec les antennes classiques : Emmaüs, Restos du Cour, Les Petits Frères des pauvres " précise Marion. La coordinatrice cherche aussi à entrer en contact avec des structures plus petites, locales.
Certaines entreprises aussi jouent le jeu. " A Marseille, nous avons un partenariat dans quatre parkings Indigo, explique Marion. Notre objectif à terme, c'est que les gens donnent beaucoup et qu'il y ait une boite dans chaque parking ! ". Pour l'entreprise, c'est une démarche globale pour changer les regards
sur les sans-abri. Indigo forme ses employés sur le dialogue, les moyens de leur venir en aide. " Les SDF dorment souvent dans des parkings, c'est un fait. Ce serait inhumain de les mettre dehors " lâche Marion.
Une autre de leurs actions, c'est la sensibilisation. " Quand il y a des collectes dans les supermarchés, les gens donnent des produits basiques : produits secs, couches, petits pots mais je n'ai jamais vu de protections hygiéniques " constate la coordinatrice. L'objectif de Règles Elémentaires est double : libérer la parole sur la précarité menstruelle mais aussi sur les règles en général. " Combien de fois nous avons caché un tampon dans notre manche, au lycée, parce que prendre son sac aux toilettes c'est trop flagrant ?, rit Marion. Comme personne n'en parle, personne n'y pense. Nous voulons briser le cercle ". La plupart des femmes n'osent pas demander de l'aide : la honte, la fierté, le manque d'informations.
L'ONG accepte tous les dons, mais reste consciente de l'impact environnemental et sanitaire des protections hygiéniques. " En ce moment, nous sommes en partenariat avec une marque de tampons bio, explique Marion. C'est important d'être associé à ce genre d'initiatives ". D'autres alternatives existent : la cup et la culotte menstruelle par exemple. Mais ce ne sont pas des dispositifs adaptés pour toutes. Tout comme les protections internes parfois. " Si les femmes ont subi des traumatismes, si cela n'est pas culturel, les associations ne peuvent pas se permettre leur en donner. Nous devons nous adapter pour que toutes les femmes soient à l'aise ".
La précarité menstruelle ne frappe pas que les femmes de la rue. Les populations démunies comme les travailleuses pauvres ou les étudiantes sont aussi touchées. " Pour les gens qui ont des fins de mois difficiles, à un moment il faut choisir entre trois paquets de pâtes ou un paquet de tampons, s'agace Marion. Cela reste un produit de luxe qu'on ne peut pas toutes s'offrir ". A force de mobilisation, les choses bougent : baisse de la TVA sur les protections hygiéniques, remboursement par la mutuelle étudiante LMDE, ou encore distribution gratuites à l'université de Lille. " Ce sont de super gestes, cela ouvre le débat, se réjouit Marion. Ce serait un pas de géant que les protections hygiéniques soient remboursées, c'est ce à quoi on aspire et ce pour quoi on milite ". L'association a été auditionnée par le Sénat récemment sur le sujet. Un pas de plus pour changer les règles.
"Coup de coeur EKOPO", ce reportage a été réalisé dans le cadre du concours "Jeunes Reporters pour l'Environnement" édition 2019 dans la catégorie "Étudiants".
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