[Tribune] Le diable ne serait-il pas caché dans la bienveillance ?
Nous n'avons jamais autant évoqué et prôné la bienveillance. Le " management bienveillant ", " l'apprentissage bienveillant " ... Pourtant, jamais autant de salariés ont exprimé un véritable mal être au travail !
Je m'abonneUn " ancien " m'a dit une fois : " si tu dois afficher une valeur, c'est qu'elle n'est pas naturellement mise en oeuvre et/ou perçue ". Et, avec humour : " la bienveillance, c'est comme la confiture, moins tu en as, plus tu l'étales ! "
La bienveillance ne serait-elle pas plus une valeur intrinsèque qu'une " méthode managériale " ? Ne serait-elle pas simplement " naturelle " si vous avez plusieurs valeurs comme le respect réciproque, l'humilité, la relation humaine, la sincérité relationnelle ? Je dirais presque que pour être un manager bienveillant, n'achetez pas un livre mais engagez-vous dans une cause utile, donnez de votre temps à des actions à valeurs humaines. Alors, la bienveillance sera présente en vous, dans vos actes managériaux.
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Pour être véritablement un leader, un chef bienveillant qui a pour objectif premier la réussite des objectifs de son équipe, il y a 5 clés inspirées de l'environnement des Sapeurs-Pompiers qui, placées dans le monde de l'entreprise, engendrent non pas la " fausse " bienveillance mais l'exigence bienveillante. Comment ? En créant un environnement permettant de créer les conditions pour que chacun puisse trouver sa motivation.
" On ne motive pas une personne, on lui offre un environnement lui permettant de se motiver "
1. Donner un cadre " d'ordre, de fonctionnement et de relation "
Au quotidien, l'esprit est : nous sommes un binôme, une équipe, un groupe, une unité. En ce sens, l'équipe doit avoir un objectif commun partagé supérieur aux objectifs personnels et avoir un ego d'équipe supérieur à l'ego individuel.
Par exemple, mon cadre de relation partagé au travail sur lequel mon équipe et moi-même avons l'obligation d'être est : sincérité relationnelle, transparence, respect, entraide ; avec interdiction du " je " et mise en avant du " nous " pour un vrai collectif permettant également de construire une histoire commune. C'est notre fierté !
Dans l'environnement sapeurs-pompiers, nous utilisons également des cadres d'ordre opérationnel comme le SOIEC (situation, objectifs, idée d'actions retenues, exécution, commandement) qui sont utiles et pragmatiques. Ils peuvent être utilisés dans le monde de l'entreprise pour construire l'échange avec ses équipiers, afin notamment d'avoir la même perception lucide de la situation de départ, qui est souvent la source de désaccords des objectifs et moyens.
" L'exigence d'un cadre de fonctionnement collectif qui engendre la bienveillance "
2. L'atteinte de l'objectif est un but
Dans nos missions de sapeurs-pompiers, l'atteinte de l'objectif n'est pas un choix. Nous devons impérativement être dans la recherche de solutions sur des opérations complexes : notre mental est fixé " solution VS problème " ; nous sommes dans le " flow " car il y a toujours une solution ! (Nous ne pouvons pas dire je suis fatigué, je n'ai pas envie, je ne sais pas, c'est à cause de...). Pour cela, nous sollicitons nos ressources personnelles et notre agilité. Nous prenons l'ensemble des " bonnes " informations, nous adaptons au facteur temps et avons connaissance des ressources externes sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Un seul choix : faire face ! Et c'est cet impératif d'atteindre un objectif commun, de faire face avec un état d'esprit orienté solution qui fait que nous y arrivons toujours ! Cela donne à chaque mission un caractère unique.
En tant que manager nous devons donc fixer un cadre, donner confiance en la réussite en travaillant sur les compétences par l'entraînement (méthode VROOM), orienter nos échanges sur les réussites (le possible) par les retours d'expériences afin que notre esprit soit le plus souvent possible orienté solution VS problème, et ainsi être lors de chaque épreuve dans le " flow " qui engendre des moments de plaisir intense.
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" L'impératif de l'objectif qui engendre la bienveillance par le dépassement, la construction de l'estime de soi, la confiance en la mission ! "
3. Le sens de la mission
Les individus font preuve d'une motivation autodéterminée intrinsèque (plus haut niveau de l'autodétermination) quand ils s'engagent dans les tâches par plaisir, maîtrise, satisfaction d'apprendre ou encore lorsque les " actes " sont cohérents avec leurs valeurs et besoins : des buts personnels et des buts collectifs partagés (Deci et Ryan).
Dans le cadre des missions de Sapeurs-Pompiers, surtout volontaires, le sens est également important. Même s'il semble évident pour tous, il est important de le rappeler régulièrement pour motiver les disponibilités en renforçant le sentiment " d'utilité incontournable pour notre modèle de secours "* et de fierté.
Cette fierté d'être utile avec humilité et avec l'apprentissage permanent contribue à l'engagement et aux réussites. Et, dans chaque métier, il y a de la fierté ! Par exemple, je dis toujours aux conseillers bancaires : " nous ne vendons pas d'assurances prévoyance, nous conseillons pour protéger une famille ". Cette approche est plus " noble ", et l'envie et la conviction seront d'autant plus fortes si ce sentiment est présent.
Ceci nous invite à manager l'envie en priorité ! Une personne qui a envie déplacera des montagnes, une personne - même compétente - qui n'a pas envie ne fera pas grand-chose ! Et cela, nous le savons tous.
" Un management de l'envie qui engendre la bienveillance et qui construit la compétence, la performance et la motivation "
4. La mise en oeuvre de méthode
Dans l'environnement Sapeurs-Pompiers, même si nous faisons preuve d'agilité face aux situations, notre raisonnement et nos actions s'appuient sur des méthodes et des référentiels que nous combinons. Nous avons une obligation de moyens.
Nos entrainements réguliers et obligatoires nous donnent l'opportunité de travailler nos points forts pour affirmer notre ego (mental du possible), tout en ayant l'humilité qui va avec pour améliorer nos compétences/savoir-faire en continu. Dans l'environnement commercial, il existe également des méthodes de ventes, de prise en charge client, de mise en oeuvre de moyen qui ont fait leur preuve. Mais avons-nous " inscrit " dans le cadre de fonctionnement cette obligation de moyen et d'entraînement ?
Cette exigence sur la mise en oeuvre des moyens, en accompagnant la compétence tout en donnant le droit à l'erreur, en étant capable d'accompagner par la critique constructive et motivante ?
" La bienveillance par l'exigence sur le " comment " pour accompagner et faire grandir, à l'image d'un coach sportif "
5. La force de la confiance collective
La confiance se gagne au fil de l'eau et peut se perdre en une seconde : elle est le ciment du collectif. Par exemple, en revenant sur le " je VS nous ", il est incontournable pour nous, managers, d'avoir la capacité de nous effacer pour mettre en avant la réussite du collectif (savoir déléguer et s'effacer). Et nous devons également manager la confiance comme l'envie, la compétence et autres.
Une équipe ne peut fonctionner si le triangle de la confiance n'est pas réuni : confiance en soi - confiance hiérarchique - confiance d'équipe. Nous devons donc être proches de nos équipes, les soutenir, être engagés avec et pour elles, être fiers d'elles, les protéger et surtout faire preuve d'exemplarité.
" La confiance systémique comme levier de bienveillance "
6. Le courage
Trouver le courage de " tenter ", d'oser, même dans le doute, d'avancer malgré les craintes, les peurs, devient possible si les quatre autres points sont nourris. Avec la " sagesse " d'être réactif au feedback pour ajuster, compléter, modifier et encore une fois apprendre de l'histoire. Avec l'humilité de ne pas se sentir supérieur aux autres, et le courage d'exprimer ses convictions " aux autres " pour faire grandir l'intelligence collective.
Le courage améliore nos performances si nous sommes dans une posture d'apprentissage permanente de nos erreurs. C'est aussi cela qui contribue à se construire un mental et vaincre la peur de l'échec.
" La bienveillance en osant avoir, et exiger d'oser, d'avoir du courage même dans la peur... car le courage encourage "
Pour conclure, l'exigence bienveillante, c'est aussi oser prendre des décisions managériales, avec équilibre entre laxisme et intransigeance, en ayant du recul sur les objectifs et avec l'exigence des moyens/méthodes à mettre en oeuvre pour l'atteinte du résultat.
Une posture utile pour positionner des décisions managériales est de faire le QQOQCP pour analyser la situation avec précision, d'en mesurer les impacts THEORI (Technique, Humain, Economique, Organisationnel, Réglementaire et Image) pour décider des actions immédiates afin de figer la situation, et des actions à t+1 pour agir tant sur " l'individu " que sur le collectif en anticipant l'impact sur ce dernier de l'évènement et/ou la décision.
Pour en savoir plus
Hervé Aulner est directeur commercial Réseau et Banque au sein du Groupe La Poste. Intervenant à IAE School of Management, il est également officier sapeur-pompier et dirige une caserne depuis plus de 20 ans.
* Les pompiers volontaires constituent l'ossature du modèle de secours en France, ils représentent 80% des sapeurs-pompiers en France