Comment communiquer sur sa RSE... sans être taxé de greenwashing ?
Les marques n'ont plus le choix : les consommateurs leur demandent de s'engager dans la lutte contre le réchauffement climatique et de faire preuve de plus de transparence. Mais comment s'y prendre pour bien communiquer et ne pas être accusées de greenwashing ?
Je m'abonneC'est une première en Europe. Les associations écologiste Les Amis de la Terre, Notre affaire à tous et Greenpeace ont assigné en justice, début mars, TotalEnergies pour "pratiques commerciales trompeuses". Principal grief des organisations écologistes : la compagnie abuse les consommateurs en se présentant comme un "acteur majeur de la transition énergétique" et en expliquant vouloir atteindre "la neutralité carbone en 2050".
La sentence est tombée ! TotalEnergies fait du "greenwashing". Une condamnation qui résonne avec les préoccupations actuelles de nombreuses marques qui se voilent dans l'étendard de la RSE (responsabilité sociétale et environnementale) : comment éviter les faux pas, les campagnes qui déraillent ? Car c'est une réalité : ONG et citoyens veillent au grain. De plus en plus, les consommateurs relèvent erreurs et failles de communication, à l'heure où le changement climatique ainsi que les pollutions des océans et atmosphérique se sont hissés, selon l'Observatoire des comportements engagés, publié en 2021 par le conseil de marques LinkUp Factory, dans le trio de tête de leurs préoccupations. "Une grande partie des consommateurs attendent beaucoup des entreprises", confirme Sophie Roosen, directrice marque et impact de l'Union des marques.
"Formations très utiles"
Tant mieux : les réactions et les retours, même négatifs, des consommateurs sont utiles. Pour Sophie Roosen, pas de quoi s'inquiéter car, "grâce à leurs exigences, les équipes sont challengées". Toujours utile pour avancer dans la bonne direction. En tout cas, le mouvement est enclenché, les sociétés se lancent, prennent leur part... A juste titre : car, comme le dit Philippe Rondeau, membre du réseau des professionnels du marketing Adetem, "le marketing doit pouvoir rendre le durable... désirable et promouvoir une consommation plus responsable". Et cela signifie aussi de tendre vers davantage de sobriété dans la production d'outils de communication et ainsi de conception de publicités.
Pas une mince affaire, toutefois. "Les entreprises ne sont pas toutes nées green, elles suivent parfois des modèles d'affaire bien ancrées et ont besoin de temps pour progresser", précise Sophie Roosen, de l'Union des marques, à l'origine, en 2018, du programme FAIRe, visant à accompagner les entreprises dans leur transition. "Tout ce qui englobe le marketing et la communication responsables ne tombe pas du ciel. La formation des équipes est ainsi primordiale."
"Une vision holistique"
D'abord, rien ne sert de se précipiter. Construire et changer le narratif prend du temps. "Vu l'effet de mode, soyons honnêtes, admet Sophie Roosen, il peut y avoir la tentation de communiquer à tout prix sur ces sujets, sans les maîtriser totalement." Et les entreprises peuvent par conséquent prendre la parole... un peu trop vite. Et, donc, risquer de "se tromper, sans que cela ne soit voulu mais par manque d'informations", commente-t-elle. D'où l'idée de l'association d'épauler les marques dans leur métamorphose, notamment en organisant des rencontres au cours desquelles les marques sont invitées à partager les expériences et les bonnes pratiques de communication responsable.
Parfois, l'erreur vient du fait qu'une entreprise communique sur un impact donné sans forcément prendre en considération les autres. A l'instar d'une marque qui annoncerait son soutien à un projet de reforestation... en oubliant au passage son empreinte carbone dans le domaine du numérique, dans lequel elle a peut-être encore à progresser...
En réalité, il s'agit de communiquer sur une action qui soit cohérente avec ce que l'entreprise représente, avec ses valeurs... "Il faut une vision holistique et savoir appréhender la complexité dans laquelle se trouve une marque avant de penser à la communication", expose Philippe Rondeau, également directeur Développement durable de Sodebo. Il convient de vérifier et de faire en sorte, en somme, que le discours soit bien aligné sur les engagements RSE de la marque.
Désir de sociétés engagées
Peut-être convient-il ensuite de s'attarder sur ce que veulent vraiment les consommateurs. Justement, "la période intense de la pandémie a permis aux marques de scruter ce qu'ils attendaient", explique Philippe Rondeau. Selon Kantar, c'est sûr : il y a un désir de privilégier les entreprises les plus engagées et les plus éthiques. Les citoyens les poussent à respecter davantage la planète, encouragent, encore, les projets humanitaires. "Les questions sociales sont devenues déterminantes dans les choix des consommateurs, qui sentent qu'ils peuvent peser", a analysé Stéphanie Bertrand, directrice des études Kantar (division média), lors de l'événement annuel du programme FAIRe, en 2021. Tendance aussi décryptée par l'Observatoire des comportements engagés : les Français invitent les marques à lutter en particulier contre l'obsolescence programmée des produits et la déforestation, sans oublier la préservation de la biodiversité.
Dans ces domaines, de nombreuses sociétés s'engagent et aiment valoriser leurs initiatives, quelles qu'elles soient. La marque de champagne Ruinart, par exemple, a inauguré en début d'année, le programme de publicité solidaire Teads Care, en soutenant le programme scientifique de l'Unesco "l'Homme et la biosphère", visant notamment à réhabiliter des zones naturelles, les habitats de la faune et de la flore. Une action que la maison née au siècle des Lumières mène aussi dans son domaine historique de Taissy, dans le Grand Est. L'entreprise a ainsi lancé sur place un projet de vitiforesterie, dont le but, note-t-on chez Ruinart, est de "participer à la lutte contre le changement climatique", en plantant, avec la société Reforestaction, des espèces d'arbres autour du vignoble, puis au coeur des parcelles. L'objectif : "Régénérer les sols et recréer des corridors écologiques", nous explique Violaine Basse, la directrice marketing et communication de la marque. Montrer que l'on s'investit, et le dire, c'est bien utile, mais les marques n'osent pas toujours sauter le pas.
Tendre vers plus de transparence... lisible
Selon le baromètre des valeurs des entreprises, de nombreuses sociétés ont certes réfléchi et identifié des valeurs, notamment en matière de protection de la nature. D'autres sont même allés plus loin, avec la loi Pacte, en formulant une raison d'être extra-financière, déterminant ainsi des missions à visée sociétale, sociale ou environnementale. 600 organisations (au moment du bouclage) ont pris cette direction et sont d'ores et déjà référencées sociétés à mission.
Pour autant, d'après le baromètre des valeurs des entreprises, publié par le cabinet de conseil Sens futur, seul un tiers des marques communique sur leurs valeurs, et ainsi leurs engagements, de façon simple et accessible. Parfois, le message est même inexistant ; or, ne rien dire, pour une marque, peut paraître suspect. Et peu malin, puisque 71 % des sondés d'une étude OpinionWay (pour Salesforce et Les Échos) affirment être davantage fidèles aux marques dont ils épousent les valeurs.
Une entreprise gagne à tendre vers le plus de transparence possible. Car elle est nécessaire, pour le choix des consommateurs. "Le citoyen, estime Sophie Roosen, challenge les marques, et, en ce sens, il est acteur de sa consommation, en s'abstenant, en particulier, d'acheter tel ou tel produit, si celui-ci ne lui convient pas. Encore faut-il qu'il ait, nuance-t-elle, de l'information lisible, accessible, compréhensible."
"Les citoyens attendent des preuves et des résultats"
La question se pose : comment parler de ses valeurs, de ses engagements, de la conception des produits aux initiatives, comment raconter ce qui se déroule derrière la vitrine, dans les usines, loin des caméras ? Les marques doivent se demander s'il faut... tout dire. Est-il judicieux d'ébruiter qu'elle ambitionne de réduire son empreinte carbone, par exemple, ou est-ce préférable de s'abstenir tant que la marque n'a pas avancé concrètement dans ce domaine ? "La ligne de crête est fine, répond Sophie Roosen. Peut-être vaut-il mieux attendre, garder pour soi et communiquer une fois qu'il y aura un résultat." Philippe Rondeau renchérit : "Les grandes phrases de communication ne passent plus, c'est fini, le marketing du blabla." Selon lui, "il convient d'apporter des preuves, d'expliquer les étapes nécessaires pour arriver à tel ou tel objectif". Livrer des ambitions floues n'est plus suffisant. "Les citoyens attendent des résultats, il en va de notre crédibilité."
La maison Ruinart partage cet avis depuis plusieurs années, comme nous le précise Violaine Basse, directrice marketing de l'entreprise. "On lance un étui écoresponsable ? On en parle. On lance un projet de vitiforesterie dans notre domaine historique de Taissy, là aussi." Autrement dit : "Il est bon de se fixer des lignes de direction, à 5 ans ou 10 ans, mais autant sortir des effets d'annonces." La marque de champagne préfère ainsi s'exprimer sur des actions bien concrètes et réalisées, elle qui vise à "entraîner tout un secteur et une région". Ruinart, souligne Violaine Basse, dit privilégier une "communication authentique" - et "ce n'est pas une mode passagère chez nous", jure-t-elle.
Une marque authentique, pas parfaite
Ce discours, Sophie Roosen le valide : "Les citoyens ne veulent pas de marque parfaite, mais d'une marque qui s'engage, qui communique pour expliquer concrètement où elle en est, sur tel ou tel engagement." Et mettre en place des initiatives cohérentes avec sa raison d'être, ses valeurs. Avant de poursuivre : "Il ne faut pas communiquer sur l'arbre qui cache la forêt. Les consommateurs peuvent tout comprendre, ils attendent qu'on s'adresse à leur intelligence..." But de l'opération, abonde Philippe Rondeau : "Gagner en humilité." Et puis reconnaître finalement qu'il n'y a "pas d'actions sans zéro impact". Il serait judicieux, glisse-t-il, de "se remettre au niveau des consommateurs, car on est dans le même bateau". L'idée, vraiment : "Progresser ensemble, pas après pas, et oublier cette posture classique, trop descendante."
En clair : se mettre à la place des clients. Quitte à répondre aux remontrances ? "Par exemple, rétorque Philippe Rondeau, Sodebo a choisi de supprimer ses fourchettes des salades, même en bois. On a estimé que les consommateurs pouvaient se charger des couverts et que ce n'était plus la peine d'en fournir de jetable avec le plat... Or, certains nous ont écrit pour nous dire que la présence d'une fourchette leur était bien pratique." Les habitudes ne se transforment pas en un instant. Néanmoins, dit-il, "on a essayé de faire comprendre pourquoi on avait sauté le pas. Expliquer, toujours expliquer"...
Dire aussi ce qui coince
Autrement dit, il s'agit de mettre en lumière ce qui avance positivement, sans oublier ce qui coince. Là-dessus, Veja, par exemple, communique beaucoup. Sur son site, la marque de chaussures écolos explique concrètement comment sont conçus les baskets, depuis la plantation de coton bio en Amérique du Sud. De la transformation en fil de cette matière à la vente en magasins, via la phase, en particulier, de vérification de la présence de produits chimiques, tout est clairement raconté. Sans oublier la certification B-corp, qui permet à Veja, écrit-elle, de "se confronter à la réalité" : "Cela permet de nous rendre compte de tout ce que nous faisons mal. Il nous a fallu presque un an pour répondre (au questionnaire de la certification), et certains points faibles sont apparus. Par exemple, la gouvernance de Veja peut être améliorée : nous n'avons pas de conseil d'administration et avons toujours refusé les investisseurs, laissant de nombreuses décisions et sans doute trop de pouvoir entre les mains des deux seuls fondateurs." La marque conclut : "Nous partagerons au fur et à mesure avec vous les améliorations apportées à notre projet."
Une démarche de transparence applaudie par Philippe Rondeau : "Mentionner les points faibles n'est pas forcément perçu comme quelque chose de négatif. Si la marque communique sur des erreurs, alors il est à supposer qu'on peut lui faire confiance sur ses points forts." Pour lui, il est possible - et même intéressant - d' "accepter ses propres imperfections, sans trop les subir".
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En somme, ajoute Sophie Roosen, "c'est savoir être honnête, capable de reconnaître que l'on est en chemin, que l'on peut encore progresser". Et parfois aussi dire que l'on ne sait pas, que la solution n'existe pas encore, sur tel ou tel point. Toujours est-il que la marque peut contribuer à imaginer et créer un meilleur packaging, par exemple. Sodebo n'a pas encore trouvé la solution miracle pour les contenants des salades, toujours servies dans un ensemble plastique. "Nous ne pouvons pas encore le remplacer par une alternative au volume important et proposant les mêmes garanties de conservation, de sécurité alimentaire et de prix. Mais avec des partenaires tels que le syndicat des entreprises du traiteur frais (ETF) ou Citeo, on recherche, on teste pour trouver le packaging de demain. C'est notre responsabilité..." Être plus vertueux prend du temps, les marques le savent bien, et elles s'y préparent, lentement.